#1 L’espérance sur
les bateaux de papier
Au petit matin, j'ouvris les yeux. La pièce était éclairée d'une lumière vive. Je me remuai pour atteindre l'autre côté du lit. Personne. Je m'assis. Dans un souffle profond qui expira ma crasse interne, je me sentis purger mon mal-être.
Je me mis à repenser, à refaire le tour de mes pensées. S'étaient réveillés avec moi les petits démons qui alimentent mes tourments. Mon souffle se fit plus court. Mes idées étaient embrouillées et mon esprit commençait à partir dans une torpeur sourde et froide. Tu es morte.
Une colère étrange s'installa en moi. Cette émotion montait le long de mon échine et vint inonder mon cerveau d'une eau impure. Avec du courage, j'aurais fait table rase de ce qui m'accablait, mais il m'en manquait en cette période troublée.
J'étais mal. Mes pensées douloureuses me faisaient quitter tout espoir. Rien n'ira mieux. Hélène ne se remettra jamais de la mort de maman ; je ne trouverai jamais la vérité que je cherche tant.
Ce furent les deux fatalités qui s'imposaient à moi. Ce furent les deux bateaux de papier, transportant la petite graine d'une idée, qui flottait sur l'eau impure que je contenais maintenant depuis plusieurs mois. Si la chance me souriait j'arriverais à les maintenir à flot et je saurais comment sauver Hélène et comprendre ce monde. Si tel n'était pas le cas, ils finiraient par s'imbiber du poison sur lequel ils reposent. Dès lors, le liquide vicieux pénétrerait la structure de ces frêles esquifs. Ils sombreraient alors dans les abysses sombres de ma tête pour reposer à jamais en moi. Une fois coulées, les idées que transportent ses navires s'imposent comme des vérités.
Ce matin-là, je n'eus que peu de chance. Les deux bateaux sombrèrent au plus profond de ce que je suis et, sans requiem, j'enterrais mon espérance dans les tréfonds de mon âme. La graine en était ainsi plantée et j'accueillais en vérité absolue ces fatalités. C'est de ces petites graines que naissent des fleurs, dont la saveur acide me tyrannisait.
C'est ainsi que je compris que ni Hélène, ni mon bonheur ne pouvaient être sauvés.
J'avais alors l'impression que tout flétrissait dans ma bouche. Je n'étais animé que par le douloureux délitement de mes passions. Les petites graines allèrent tout droit au centre de ma conscience. Dans ce lieu d'introspection, était apparu, il y a déjà plusieurs hivers, un jardin fertile. Sur son terreau sombre, des sentiments amers entretenaient les grandes fleurs qui lacéraient mes entrailles. Plus belles que l'art, plus loquaces que la science et plus profondes que toute philosophie, les fleurs amères me passionnaient autant qu'elles me torturaient. J'aimais les contempler grandir en moi, je les cultivais dans un monologue interne. Elles forment le plus beau des bouquets et leur odeur est exquise. Elles avaient, pour mon salut et ma détresse, une place importante dans ma vie. Sournoises et insidieuses, elles patientent jusqu'au jour où il sera temps pour elles de faner, pour elles-mêmes devenir le terreau fertile des champs de fleurs.
Quand on s'aperçoit de leur toxicité, c'est que le seuil critique a été franchi, il y a de cela, déjà, une éternité. On finit donc quotidiennement par goûter leur nectar acide et les contempler semble être la manière la plus douce de vivre.
Se battre est vain. Les racines s'enfoncent toujours davantage dans la terre et aucun vent, ni aucune marée ne les arrachera. Elles sont les bourreaux de l'éternité. La brise qui les caresse c'est l'homme qui la fournit. J'aime me balader dans ce champ. Je meurs de ne pouvoir que le contempler. Si réelles et pourtant si fictives, ces fleurs sont la source du malheur.