#3 Métaphysique sous cannabis

29 juin 2013 - Cette année, je fis sa rencontre.

[...]

— T'es con. » J’entendais son sourire dans son soupir.

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La soirée battait son plein. Boum boum. Je frétillais. Boum boum. Je n’entendais plus rien. J’étais ivre. Dans ma tête battait toujours ce rythme. Boum boum. Le joint à la bouche, la fumée entre nous deux. Et cet appel obsédant, qui me faisait rire sans raison. Boum boum. J’étais là, prêt de toi. La raison qui s’en va, je t’embrasse. Qu’importe si demain roué sous les coups de mon propre cerveau, je me tords de douleur. Diable, que je suis heureux. Boum boum. Ta beauté à m’en crever les yeux. La peau électrique, tu me rends mon baiser. Dans la pénombre s’enchaînent les couleurs en interstices, par flash. Je suis parmi les étoiles. Alors je tire sur mon pétard, et de la fumée, toujours davantage, sort de ma bouche. On ne voit plus rien dans la maison. L’air est trouble, irrespirable. J’étouffais, mais j’aimais ça. Une odeur âcre et malodorante. 

Demain nous serons autrement que ce que nous sommes cette nuit-là. Alors avant de laisser la place à un autre moi, autant profiter de ce que je suis et de ce que je fais.

Je savais que j’étais heureux contre moi. Je quitte mon corps. Je ne me sens plus me mouvoir. Je me suis libéré de moi-même. J’apprends alors à me connaître véritablement. 

Je ne voyais plus vraiment. Seulement des couleurs. Je pense aux vaches dehors. Je vois la plage. Je sens la fraîcheur de l’air. Une fenêtre s’ouvre. Une maison en été. Je danse toujours plus. Boum boum. Boum boum. Le ciel étoilé comme protecteur de nos plaisirs. Boum boum. J’ai chaud. Ma gorge me serre et rattrapé par mes démons, je m'effondrai intérieurement. Je retrouvais cette douleur. Ma conscience s’étiole. Peut-être que je résiste. Boum boum. Boum boum. Boum boum…

Je me tenais là. Seul parmi tous. Misérablement moi, j’étais perdu. J'aurais pu ne pas être. Aurais-je du ne pas être ? Qu’aurait donné ce monde si je ne l’avais pas tâché ? Quel est donc ce Dieu pour faire un monde où je ne puisse exister vraiment ? Une erreur, une erreur fondamentale, qui ne peut être réparée. Je suis là désormais. Il m’incombe alors de vivre. Je porte ma médiocrité, elle me rappelle que je suis humain. C’est mon fardeau, ma peine.

Le sol sous mes pieds avance, ma tête heurte le plancher. Je me perds dans mes idées. Les formes de la réalité se troublent. Les couleurs s’altèrent et tout devient gris, puis noir, ou peut-être blanc. Je ne sais pas. La fumée envahit à nouveau mon esprit. La vie me pèse plus qu’elle ne devrait. Je suis écrasé, littéralement par son poids. Je dois porter ma peine. Quoiqu’il m’en coûte. Pourquoi ? Qui me punira d’abandonner ? De céder ? D’échouer ?

Quel supplice d’avoir goûté à la saveur du bonheur et de me la voir retirer aussitôt ? Pourquoi avoir des yeux pour contempler la beauté de ce monde si on me retire toute envie d’y vivre ? Dieu est un pervers. 

Tu n’es qu’un lâche qui se cache au fond du cœur des hommes. Une prison que l’homme se construit par peur de voir sa nature. La beauté de sa médiocrité. Je vis dans ce monde hideux et sale, mais étrangement tapissé de merveilleux. 

Je ne peux penser plus que ces fulgurances brutes et incohérentes. Mon cerveau m’en empêche. Ma biologie me limite encore une fois. Je ne peux tout penser. Je ne peux tout créer, car je suis homme. Jamais je ne pourrais exister sans cesser d'être. Je sais ma faiblesse. Les vivants m'attirent vers l'être, mais un jour, j’aimerais ruser pour trouver la force de me défaire de ma médiocrité humaine et démasquer le Sublime. Je souhaite que survienne dans ma vie, l'instant où débutera mon existence, dans une tension dirigée vers la liberté. 

Cette force, je sais que je ne l'aurai pas. Je dois accepter cette fatalité. Jamais je ne serai pleinement heureux. Nul besoin de lutter contre ma mal-fortune que je dois accepter ; sûrement serait-ce le conseil des diseuses de bonne aventure de mon enfance. Voilà ma croix, celle que je traînerai sur mon chemin, m’écrasant le dos et les reins, les épaules et le buste, le cœur et les poumons.

Je commence à avoir froid. Mes doigts tremblent. Je ne sens plus vraiment mes membres. Je suis givré à la tête comme au cœur, l’âme et l’esprit embourbé dans ce corps frêle et lâche. Je vois ce que je suis. Je ne me ressemble plus. Je suis à moi-même ce que je suis pour les autres. Un encrier renversé sur la page de ma propre histoire. Une page qui finira arrachée et déposée à la poubelle entre tous les feuillets des ratés de ce monde. Je serai parmi la masse des oubliés, ceux qui n’ont pas existé.

Voilà une souffrance, mais voilà le chemin que je suis.

Jamais plus que cette soirée, dans cette maison, nous fûmes heureux, heureux de vivre parmi les vivants. Ce soir-là, je savais que je voulais vivre. La mort est une amie étrange. Mais qu'importe sa nature, je me tiens loin d'elle, sous les auspices de la chance, je chante parmi les hommes.